C’est une sombre et belle « Ballade » qui ouvre ce disque intitulé « Modernisme » avec cette œuvre de Boris Liatochinski (1895-1968), un compositeur peu connu de ce côté-ci de l’occident mais dont l’interprétation proposée, ici, par l’Orchestre Symphonique National d’Ukraine sous la direction de Bastien Stil ne peut que captiver. En effet, par-delà les motifs musicaux exprimant une certaine fatalité du destin avec un ostinato introduit dès les premières notes et qui ne cessera de surgir régulièrement, l’œuvre cristallise l’étonnante effervescence en musique et dans les arts rencontrée depuis la révolution d’Octobre et l’ouverture vers la modernité. Cette œuvre composée en 1929, période trouble en Union soviétique, trahit cependant les doutes et questionnements de l’artiste, à l’égal de nombre d’entre eux subissant les terribles purges staliniennes comme l’exprimera quelques années après le poète Ossip Mandelstam avec l’issue fatale que l’on sait. De cette pénombre surgit la beauté lumineuse du violon, celui de Sarah Nemtanu, chant à la fois plaintif et suggérant subrepticement quelques espoirs, en vain…
Le jeune pianiste et compositeur franco-ukrainien Dimitri Tchesnokov (1982) dont le Concerto pour violon et orchestre op. 87 a été retenu pour cet enregistrement étonnera et ravira le mélomane pour son étonnante maturité. Intégrant l’héritage de ses aînés nés sous le régime soviétique, la modernité trouve une fois de plus de nouvelles possibilités d’expression en un accord subtil entre classicisme et innovation. Le violon sous l’archet de Sarah Nemtanu livre en certains passages des soliloques poignants qui permettent à la talentueuse violoniste de déployer toute sa virtuosité et sensibilité. Point d’orgue, enfin, l’incontournable Dmitri Chostakovitch (1906-1975) et sa Symphonie n° 1, œuvre de jeunesse qui lui valut un succès immédiat en 1926. Cette œuvre séduisante par sa fraîcheur tient en son sein toutes les promesses et audaces de son auteur, l’un des maîtres de son siècle. Avec cette œuvre, l’Orchestre Symphonique National d’Ukraine livre une interprétation magistrale, où chaque partie se saisit de l’originalité de la symphonie pour proposer flamboyance et lyrisme, en contrepoint du jeu du violon, tour à tour facétieux et fascinant.