« Modernisme »
Boris Liatochinski : Ballade op. 24 (Orchestration : Dimitri Tchesnokov)
Dimitri Chostakovitch : Symphonie N° 1 op. 10
Dimitri Tchesnokov : Concerto pour violon et orchestre op. 87 (création)
Sarah Nemtanu, violon
Orchestre Symphonique National d’Ukraine, dir. Bastien Stil
1 CD Klarthe : K 087 (Distribution : PIAS)
Durée du CD : 67 min 47 s
Note Technique : (5/5)
Le propos de ce CD est d’illustrer le modernisme musical en Russie, à travers deux époques. Celle des années 20 ou de l’ouverture à la modernité, représentée par Boris Liatochinski et Dimitri Chostakovitch. Puis d’une époque plus contemporaine, avec une composition de l’ukrainien Dimitri Tchesnokov. Un singulier parcours.
Boris Liatochinski (1895-1968) écrit sa Ballade pour piano op. 24 en 1929. Faisant siens les acquis de Scriabine et de Stravinski, tout en étant sensible aux influences de Schoenberg ou de Bartók, le musicien achève dans cette courte pièce ce qu’on peut considérer comme une ultime manifestation d’un épisode expérimental de la musique soviétique. La transcription pour orchestre seul, effectuée par le compositeur Dimitri Tchesnokov, en préserve l’essence : un sombre ostinato dans le grave de l’orchestre qui évolue peu à peu dans l’aigu, puis une seconde séquence plus claire avec solo d’alto, qui bascule dans une danse agitée à la riche orchestration, et enfin un retour à l’ostinato initial. La Première symphonie op.10 de Chostakovitch, créée en 1926, propulse le jeune compositeur dans la lumière, faisant l’admiration aussi bien de Darius Milhaud que d’Alban Berg. Cette partition respire la lumière et affirme sa nouveauté dans le rôle accordé aux instruments solistes, tout en dévoilant une créative symbiose entre univers chambriste et développements opulents. Il y a là les germes du style du symphoniste engagé que sera Chostakovitch. Ses quatre mouvements se jouent enchaînés : un Allegretto où perce l’humour dans un traitement instrumental original, comme il en est de ce passage dansé initié par la flûte ouvrant une section bâtie sur un rythme de marche ; puis un Allegro, scherzo frôlant le grotesque, au son du basson, de la clarinette basse et du volubile piano, dans une débauche thématique lourde de sous-entendus. Un Lento au souffle lyrique mais aussi tragique, parcouru par des éclats éphémères de la trompette, privilégiant le registre grave de l’orchestre. Un finale mêlant en une vaste fresque différentes manières et de brusques changements d’humeur, jusqu’à l’accélération ultime dans une vraie liesse. Un sérieux chalenge pour l’orchestre.
L’époque actuelle est représentée par l’ukrainien Dimitri Tchesnokov (*1982). Sans contester les influences de Liatochinski ou d’Alfred Schnittke, comme aussi d’Esa Peka Salonen ou de John Adams, il revendique une certaine indépendance, refusant les étiquettes. Arrivé en France à l’âge de 15 ans, il se perfectionne auprès de Guillaume Connesson. Son Concerto pour violon et orchestre op.87, commande du chef d’orchestre Bastien Stil, est un bel exemple de son style. Il est en trois mouvements, de durée décroissante, et bien différentiés. Il débute par un Largo offrant un intéressant climat lyrique dont se détache le violon, traité jusqu’au registre le plus aigu. Le développement est dramatique mettant en avant un orchestre grandiose ponctué de clusters saisissants. S’ensuit une danse allègre parée de traits virtuoses du soliste, puis une section puissante, et une fin en forme de marche. L’Intermezzo est un calme nocturne où le violon semble incarner la rêverie d’un promeneur. Le discours s’anime, le violon joyeux dialoguant avec la petite harmonie. L’écriture frôle une sorte de classicisme atemporel. Le finale »la Ronde » est un scherzo virevoltant d’allure populaire, porté par la faconde du violon. La rythmique y est soutenue à travers de fréquents changements de tempos. L’œuvre s’achève dans une longue phrase gorgée de lyrisme, laissant le dernier mot au violon par une courte cadence. Sarah Nemtanu en est l’interprète de choix, transcendant haut la main une virtuosité souvent paroxystique.
L’Orchestre Symphonique National d’Ukraine, capté généreusement in loco dans le studio de la radio d’Ukraine, fait montre de belles couleurs et d’une cohésion remarquable, malgré des cordes sonnant un peu mince. Le chef Bastien Stil, nouveau venu sur la scène de concerts internationale, apporte toute sa conviction à ces musiques, même si on aurait souhaité plus de mordant dans la symphonie de Chostakovitch.